La vie mouvementée avant le
Lycée Henri IV.
Lors de notre promenade dans le Paris mythique, nous sommes arrivés sur le Carré Sainte- Geneviève, ainsi qu’on le nomme au moyen-âge.Revenons au temps passé.
A l’emplacement du lycée Henri IV, la basilique mérovingienne de Clovis, édifiée au 6è s., et où Sainte-Geneviève est inhumée, est entretenue par des abbés, mais dévastée par l’une des nombreuses invasions de Vikings* quelques siècles plus tard. Sur les ruines, est bâtie une abbaye appartenant à l'ordre de Cluny. Au 18è s., sur ordre royal de Louis 15, une église monumentale comportant une vaste crypte, est construite par Soufflot à l'extrémité du terrain des abbés.
Elle est devenue le Panthéon de Paris.
De l'ancienne église abbatiale démolie au début du 19è s. pour percer la rue Clovis, est conservé le clocher, la Tour Clovis. Les anciens bâtiments conventuels des 16è et 17è s. abritent le Lycée Henri IV.

Image : cosmovisions.com
Revenons au temps passé.
Devant nous ... l’abbaye ... les moines bénédictins, livrés à la débauche et aux facéties de mauvais goût (que des lettrines de manuscrits illustrent sans gêne), sont remplacés au 12è s. par des chanoines séculiers qui ont pour mission de veiller sur la châsse de Geneviève.
Cette châsse a été commandée à l’orfèvre Eloi par le Roi Dagobert au 8è s. Elle est déposée dans l’église abbatiale. A la Révolution, la châsse est fondue, les restes du corps sont brûlés et les cendres dispersées dans la Seine. Au 19è s., une seconde châsse lui est offerte, dans laquelle on place un fragment** retrouvé du tombeau d’origine.
Dès que la muraille de Philippe Auguste est érigée, au tout début du 13è siècle, elle isole l’abbaye du cœur de la capitale. Les chanoines érigent des murs, incluant habilement dans leur enclos les habitants afin qu’ils les protègent. C’est le Bourg Sainte-Geneviève, capable de vivre en autarcie de par son élevage et ses cultures.
L’abbaye s'entoure de services économiques qui se renforcent avec l’aménagement du bourg lorsque la muraille les isole de la ville. Fermes, écuries, étables, maisons d’habitation, vergers, cultures maraîchères, vignes, moulins. Le bourg est clos, les temps sont toujours incertains mais cela ne l’empêche pas de devenir vite florissant.
L’enseignement né dans le Chapitre Notre-Dame s’étend sur le rive gauche au Clos de Laas (place Saint André des Arts et rue au Fouarre ou rue au foin) et ne tarde pas à gagner l’abbaye. Là, s’illustre un certain Abélard, bien connu pour ses amours coupables avec Héloïse qu’il épouse et enferme dans un couvent après avoir été honni et châtré.
… La colline se peuple et retentit d’étudiants et de maîtres mais l’église abbatiale se fait exiguë. Des turbulences procédurières caractéristiques de l’abbaye, connue pour ses multiples frasques, repoussent à 1517 la construction de Saint Etienne du Mont, destinée à jouer le rôle d’église de quartier.
L’abbaye, qui n’a de compte à rendre qu’au pape, vit d’une manière assez particulière ! Au Moyen-âge, ferveur et lubricité font assez bon ménage ! Les abbés se livrent à des farces grossières et déplacées qui nuisent fortement à leur bonne réputation. Forte de son indépendance vis à vis du chapitre Notre-Dame, tout comme de la puissance royale, l’abbaye “s’anonchalisse dans les délices”, comme l’écrit savoureusement un chroniqueur de l’époque. Les désordres les plus grands y règnent. L’un d’eux, et non des moindres, fait scandale avec raison !
Le pape Eugène III est en visite à Paris. Il souhaite dire une messe dans l’église qui abrite les restes de la Sainte Femme protectrice de la ville. Rien de plus légitime. D’autant que l’abbaye détentrice de la chasse est sous sa seule autorité !
Sa suite lui installe un prie-Dieu recouvert d’un riche tapis afin qu’il puisse se recueillir confortablement. A la fin de la cérémonie, le pape sort de l’église. A peine est-il sur le parvis, que les abbés subtilisent le tapis avec une vélocité idiote. Les gens du pape tentent de le reprendre au cours d’une bagarre qui fait tant de bruit que le pape, et le roi Louis VII qui l’accompagne, se retournent intrigués. Le roi entre dans une colère noire. Il tente de séparer les belligérants et reçoit un coup malencontreux.
Le scandale est à son comble. La honte du roi, également.
Immédiatement, le pape décide de réformer l’abbaye et d’en confier la charge à Suger***. Les abbés sont expulsés ...
Malgré leur inconduite, ils ne se tiennent pas pour vaincus. Ils se rendent à Rome, se plaignent et supplient le pape de revenir sur sa décision. Qu’à cela ne tienne, douze chanoines de l’abbaye Saint Victor, fondée en 1108 par Guillaume de Champeaux, ami puis adversaire d’Abélard, prennent possession des lieux. Un Prieur dirige la communauté, vite remplacé par un certain Aubert sous la direction duquel éclate un second scandale.
Nous sommes en 1161.
Le bruit court dans tout Paris que la tête de Geneviève a disparu du cercueil enfermé dans la châsse. Louis VII s’insurge. Il n’a aucune confiance en cette abbaye à problèmes. Par mesure de méfiance bien légitime, il fait poser en hâte des scellés sur la châsse de crainte qu’une nouvelle tête n’y soit introduite. A la date prévue pour vérifier l’accusation portée par les abbés, l’église abbatiale est bondée de fidèles. Les uns armés de pierres, les autres de gourdins, ils ont tous la ferme intention de régler leur compte à ces gardiens peu scrupuleux du bien sacré.
Avec solennité, on ouvre la châsse où la vraie tête de Geneviève n’a pas bougé. Elle porte même autour du cou la pièce gravée d’une croix que l’évêque Germain lui avait donnée étant enfant.
La farce est si énorme que cette fois-ci c’en est trop. Le discrédit est total et définitif !
* L’arrivée des redoutables Normands sur leurs bateaux à tête de dragon, les drakkars, terrifie les abbés. Ni téméraires ni courageux, ils s’enfuient sous le prétexte de mettre la chasse de Sainte-Geneviève à l’abri dans leurs propriétés de campagne à Athis-Mons, puis à Draveil. Ils craignent qu’elle ne soit volée ou détruite mais surtout que ne s’éteigne la protection de Paris !
** N’oublions jamais qu’en raison du culte immodéré des reliques et des bienfaits attendus, celles-ci ont été multipliées de manière inconsidérée et distribuées un peu partout. Ce qui veut dire que l’authenticité de nombre d’entre elles est souvent douteuse. Il n’y a que la foi qui sauve !
*** L’abbé Suger (1080-1151) est le fondateur de l’abbaye de Saint-Denis. Ecclésiastique et politique.
En ces temps là, l' aventure malheureuse d'Abélard et Héloïse ne choque qu'en apparence !
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