La fleur d’Islande ?
Terre-Neuvier du 16è s. et plus.
La pêche à la morue est une épreuve physique pour tous les marins qui s’y consacrent, non pour le plaisir de partir vers le Grand Nord sur une mer souvent démontée où le vent glacial est d’une force éprouvante. Ces hommes, jeunes et vieux, n'ont d'autre ressource pour gagner péniblement de quoi nourrir les familles demeurées le plus souvent en Bretagne.
C’est de Paimpol que les goélettes s’ébranlent dès le 16è siècle pour Terre-Neuve et l’Islande. Ils le feront jusqu'en 1992.
La Bretagne n’a que peu de ressources et les salaires, lorsqu’il y a du travail, sont misérables. Il n’est d’autre solution que de s’engager comme terre-neuva pour capturer la morue, prolifique, nutritive, et qui se conserve longtemps salée même à la chaleur. Certes, ce poisson exceptionnel des eaux froides est abondant mais le travail est rude et cause des blessures très douloureuses au nom cynique et poétique de
« fleurs d’Islande ».
Pêcher à Terre-Neuve ou en Islande est différent. A Terre-Neuve des chaloupes de 5 à 8 hommes longent les côtes qui traitent la morue une fois à terre. Par contre, au 19è siècle, la pêche a lieu au large sur un gros bateau, le terre-neuvier, qui traite sur place la morue que lui remontent des embarcations plus petites.
Pêcher en Islande, c’est se placer au bord du bateau battu par le vent, la neige, le grésil ainsi que par la mer, le sel et le froid.
C’est ce contact douloureux permanent qui crée engelures, brûlures, coupures et infections graves, parfois suivies d'amputation des doigts.
Durant les six longs mois de mer, c’est l’affrontement quotidien à ce cocktail agressif qui, pendant les 15 à 18 heures de travail quotidien ininterrompu, provoque, malgré la chaleur trompeuse d’un mauvais alcool trop abondant, les blessures graves, dont l’origine est due aux gestes pratiqués par cette méthode particulière de pêche.
En effet, le marin tient un support de bois en Y (mecques). Dans l’encoche et par un va-et-vient incessant du poignet, il guide le fil de pêche qu’il empêche de s’emmêler avec un autre. L’eau salée corrosive** agresse la peau des mains et des poignets qui frottent le ciré.
Seule protection, pas hermétique, des lanières de cuir sur le poignet de leurs gants ! Quand ils en portent.
A ces traumatismes locaux liés aux gestes de pêche*, mais aggravés par une nourriture déséquilibrée, la promiscuité et l’absence totale d’hygiène, le terre-neuva souffre de bronchite, tuberculose, typhoïde ou scorbut***, si ce n’est de luxation ou fracture parce qu’il a glissé sur le pont en raison du roulis ou/et de l’alcool. Et comme les heures de repos sont trop courtes, dans des conditions inhumaines, le pauvre homme ne récupère jamais et s’affaiblit d’expédition en expédition.
** Le sel empêche la cicatrisation des plaies.
*** Scorbut : Maladie causée par le manque de vitamine C. Se produisent chute des dents par déchaussement, atteinte gingivale avec saignement permanent, puis mort par hémorragie.
Ces territoires éprouvants et d'une beauté sauvage "magique" sont aussi ceux des aurores boréales et de la grande histoire d'Erik le Rouge, l'aventurier-pionnier viking encore célèbre de nos jours.
Toutes les photos sont empruntées à la collection de l'ancien terre-neuva Emile Jenouvrier avec l'autorisation gracieuse de Nadine Belin.
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